Nota en Les Lettres
Nota en "Les Lettres".
por Roger Giron

 

Transcripción

Le livre le plus lu d'Espagne est (aussi) l'œuvre d'une romancière.

Mercédès Salisachs raconte les malheurs d'Eulalia, fille-mère qu'un village rejette.

LE SOLEIL NE PARDONNE PAS, par Mercédès Salisachs, traduit de l'espagnol par Denise Nast (Robert Laffont, 432 pages, 1.500 fr.).

Je regrette un peu que l'on n'ait point conservé au très beau roman de Mercédès Salisachs, " Le soleil ne pardonne pas", le titre d'une émouvante sobriété que son auteur avait choisi et sous lequel il est devenu un best-seller en Espagne après avoir été, d'abord, interdit: "Une Femme arrive au village". Le sujet est, en effet, celui-là: une jeune fille, sur le point d'être mère, vient chercher refuge dans le village de pêcheurs de la Costa Brava où elle a passé son enfance, et le village la repousse.

Pourquoi sa famille, ses camarades, le maire et les notables, les pauvres comme les riches, Mme Terratz la rentière et Paquita la prostituée honnête, et ces dames de la "Domoco" (abréviation pour Dames de Bonne Conduite), pourquoi tous (sauf le curé Mosen Roque) tournent-ils le dos á la pauvre Eulalia? L'enfant qu'elle s'apprête à mettre au monde est le fruit du péché! Et tout le monde croit - ce qui est faux - que le père est José Mendia, le fils d'une puissante famille qui domine le village depuis son insolente demeure du cap Nègre.

Joanet, pitoyable et cruel.

José et Eulalia se sont aimés, mais elle n'était pas de son monde et il a épousé Teresa, qu'il n'aime pas. C'est au caprice d'un autre garçon, le beau-frère de José, Carlos, un Madrilène élégant et cynique, qu'Eulalia a cédé et elle a gardé farouchement son secret. Il se trouve quelqu'un pourtant pour avoir pitié d'elle: Joanet, qui l'aime depuis longtemps et dont elle n'a pas voulu. Il la conduit dans une grotte où, sur une couche de fortune, la réprouvée meurt en donnant naissance á une fille. Dans une crise de jalousie, Joanet tuera José.

On les enterre le même jour: lui, en grand apparat dans le caveau des Mendia; elle, dans l'anonymat de la fosse commune. Devant le corps sanglant de la pauvre fille, le curé avait prié et pleuré, impuissant. Il la revoyait quand, trois jours plus tôt, elle était venue implorer son secours, folle de douleur, lui saisissant la main: "Padre, Padre, il n'avait rien fait". Mosen Roque se sentait coupable - et coupable aussi de la faute du village tout entier. C'était le 15 juillet, jour de la fiesta et tous, même les incroyants, assistaient á la grand'messe. Le prêtre réclama une minute d'attention et ce fut pour évoquer la double tragédie dont le village avait été le théâtre: "Elle est morte par notre faute...par notre faute à tous..."

Un livre non conformiste.

Le livre de Mercédès Salisachs dépasse la touchante histoire qui en est le sujet. Nous nous apitoyons, certes, sur le malheureux sort d'Eulalia, mais c'est le village lui-même qui nous impose sa présence, durement, le village avec ses habitants dont les différences et les antagonismes s'unissents pour composer un être collectif. "Le Soleil ne pardonne pas" est un roman unanimiste.

Il y a dans ce livre tendre et fort une vie intense, des sentiments farouches, la fierté espagnole et une bonhomie marseillaise; et les souvenirs inapaisés d'une guerre fratricide; et il y a la lumière, le soleil sur la mer et sur toits, des cris et des rires. J'ajoute que Mercédès Salisachs ne fait preuve d'aucun conformisme ce qui n'est pas sans mérite.

Roger Giron